31 décembre 2019 _écriture _série périodiques
Derrière chaque carte sonore réside une utopie cachée ou, du moins, rarement formulée de façon explicite : l’espoir de changer le monde en le donnant à entendre. Une idée folle ? Et pourtant, le monde change bel et bien pour celles et ceux qui l’explorent par les oreilles. Le projet d’Ecouter le monde porte lui aussi cette ambition.
La rencontre, dans les années 1930, de la psychologie comportementaliste et de recherches sonores dans les domaines du théâtre et de la musique d’ambiance a initié un courant aujourd’hui toujours en vigueur, visant à employer le son comme outil de manipulation des masses. Son évocation suscite légitimement des critiques inquiètes, qui ont néanmoins tendance à fantasmer les effets de tels usages, tout en ne prenant pas en compte des problèmes éthiques bien réels qu’ils posent, en termes de libertés individuelles aussi bien que collectives. En effet, si le comportementalisme sonore échoue régulièrement dans ses tentatives d’industrialiser l’écoute, il opère néanmoins une instrumentalisation de l’espace public sonore et, partant, de l’espace social.
Après les enregistrements d’oiseaux en cage pour satisfaire l’écoute musicale, après les captations en milieu naturel visant à identifier les espèces animales, à partir de la fin des années 1950 et plus encore dans la décennie suivante, se bâtit lentement une nouvelle approche de la prise de son naturaliste. Le contexte y acquiert une importance de plus en plus grande, jusqu’à devenir un concept central, bouleversant la façon d’enregistrer, de composer et, plus généralement, de se situer philosophiquement.
Ce nom-là devrait être aussi souvent cité, dans l’histoire de la création radiophonique et de la musique concrète, que celui de Pierre Schaeffer, et pourtant l’on en est encore à découvrir son existence. Il aura fallu la mort de Daphne Oram en 2003 pour que soient enfin entendues les voix qui savaient son importance et ses œuvres rendues publiques.
"Je ne dis pas aux gens ce qu’il faut qu’ils ou elles pensent, je ne fournis pas des interprétations clé en main, je tente de fabriquer des instruments qui permettent d’affiner l’esprit critique, de développer une écoute critique."
Les captations animalières de la fin du 19ème et du début du 20ème siècles mettaient en scène une nature domestiquée et appréciée pour ses seules qualités musicales. Non seulement la majorité des enregistrements commercialisés à l’époque comprenaient exclusivement des chants d’oiseaux en cage, mais l’imitation de leurs sifflements et pépiements par des humain·es constituait un sous-genre discographique en soi. De façon tout aussi symptomatique, le chant d’un rossignol captif gravé par Karl Reich deviendrait en 1924 le premier son naturaliste à être inclus dans une composition musicale, le poème symphonique Pins de Rome d’Ottorino Respighi. Au tournant des années 1930, néanmoins, émergea une approche documentaire et scientifique des sons du vivant, ouvrant le champ et les pratiques de l’audionaturalisme.
Imaginez : une unité spécialisée dans les effets sonores, au sein d’un département d’art radiophonique sur un grand réseau commercial, et qui serait dirigée par une femme. Ce qui demeure triplement utopique en 2018 fut une réalité en 1938. Une ingénieure du son étatsunienne, née Aurore Dolores Daigle en 1893, morte Ora Dorough en 1951 (elle avait choisi son prénom, et portait alors le patronyme de son second mari), devint célèbre dans les années 1930 sous le nom d’Ora Nichols comme « la seule femme experte des effets sonores à la radio ». En fait, aurait pu titrer plus franchement le magazine Variety de ce mois de janvier 1938, la seule experte tout court dans le domaine et l’inventrice du métier.
Après avoir constaté en 1ère partie que le podcast actuel était arrivé dans un paysage densément peuplé, puis nous être plongé·es en 2e partie dans cet immense terrain vague, plein de trésors et de contructions improvisées, que représentèrent les débuts du son sur le web, voici venue la tâche à peu près impossible de poursuivre le panorama de la production là où on l’avait arrêtée, c’est-à-dire au tout début des années 2000. Syntone ne voulant pas vous laisser sans matière sonore avant de prendre ses vacances d’été, vous y trouverez quelques heures supplémentaires de sons à écouter. Nous les présentons toujours chronologiquement : une première vague, de 2002 à 2006, marqua l’institution progressive du podcast dans le paysage médiatique francophone ; une deuxième vague, de 2007 à 2015, se caractérisa par une volonté de structuration et de déploiement. Nous nous arrêterons juste avant la troisième vague, celle des immeubles, qui s’écrit en ce moment même. Comme dans les parties précédentes, nous procédons ici de façon impressionniste, par touches multiples mais sans viser une illusoire exhaustivité.
Les légendes du podcast une fois évacuées (lire la 1ère partie), nous voilà arrivé·es au cœur du sujet : élaborer son histoire culturelle. Pourquoi culturelle ? D’abord, parce que la définition technique (le-podcast-c’est-du-son-en-RSS) ne suffit pas, elle craque de toutes parts. L’on peut militer, ô combien, pour que tous les sons du monde (comme toutes les connaissances et créations) se propagent librement, sans pour autant réduire des contenus à leur mode de diffusion et à une philosophie censément originelle. Ensuite, parce que les apports du podcast se situent ailleurs : dans ses voix, ses formats, ses hybridations, ce qui relève du son et ce qui lui échappe. Enfin, parce qu’il semble plus pertinent de construire une histoire commune que de renforcer les clôtures de chaque chapelle composant le microcosme sonore francophone. De parler non seulement de ce qui sépare, mais de ce qui réunit les radios libres, les sagas mp3, les plateaux entre ami·es, les séries audio, la radio de rattrapage, les sons unitaires, les webradios, les plateformes… En cinq mots comme en cent : du son sur le web. Comment il est arrivé là, depuis où et quelles formes il a pris, notamment en France.
Un vent de fraîcheur, une nouvelle vague, le début d’un âge d’or, une renaissance, que dis-je : une révolution ! L’enthousiasme qui anime le milieu du podcast francophone s’est visiblement transmis, ces derniers mois, aux médias qui le couvrent. Ce, d’autant plus aisément que le milieu du podcast et celui des médias se recoupent : le premier accueille nombre d’exilé·es du vieux monde radiophonique et journalistique, tandis que dans le second, ceux qui ne maniaient jusque là que l’écrit et la vidéo se sont depuis peu avisés de l’existence du son. Une révolution gagnante-gagnante en somme. Mais une révolution qui, pour asseoir sa légitimité, prend un soin particulier à oublier le passé et à brouiller le débat. De l’invention il y en a, mais pas forcément chez celles et ceux qui crient le plus fort, et elle ne date pas d’aujourd’hui. S’il est réjouissant d’assister à une ouverture du paysage de la production sonore, à un questionnement de ses formes et à un intérêt nouveau pour elle, il reste fondamental de ne pas perdre pour autant – voire refuser – toute mémoire sonore.
En 2014-2015 étaient créées dans la maison d’arrêt des Baumettes, à Marseille, cinq histoires sonores de 5 à 8 minutes qui détonnaient – et détonnent toujours – par rapport aux productions radiophoniques couramment réalisées en milieu carcéral. À l’occasion de leur mise en ligne intégrale sur le site d’Oufipo et du lancement de notre dossier radio et prison, retour sur Hey Jo, comment tu vois le problème ?, de Radio Baumettes.
En écoutant – voire en réalisant – des enregistrements animaliers et paysagers, l’on espère peut-être trouver une échappatoire, même momentanée, à la société technicienne. Ce serait oublier, néanmoins, que ces sons eux-mêmes ont une histoire, extrêmement brève comparée à celle de leurs objets, et qu’ils dépendent étroitement de l’évolution des technologies aussi bien que des sociétés. Retour sur 130 ans de prises de sons naturels, depuis les concerts de volatiles captifs jusqu’aux tentatives de préserver le vivant dans toute sa diversité biologique et sonore.
« Le son, c’est la lumière du xxie siècle. » En 2013, Laurent Cochini (Sixième Son) déclarait son optimisme pour les contenus auditifs inédits qui voyaient le jour. Derrière la création sonore et le marketing s’initiaient de nouveaux modes de diffusion et les pratiques d’écoute qui leur sont associées. Pour le montrer : sept innovations sonores emblématiques de ce début de siècle triomphant.
Un son peut-il tuer ? La question a alimenté de nombreux fantasmes et fait l’objet de longues recherches. S’il s’avère en définitive que le son n’est pas une arme létale, son amplification ou, au contraire, sa disparition totale ont d’importantes conséquences physiques et psychologiques. Juliette Volcler, auteure du Son comme arme : les usages policiers et militaires du son, souligne également que l’utilisation actuelle de dispositifs sonores ciblés porte atteinte à nos libertés.
L’émergence des podcasts natifs (autrement dit, de productions sonores d’abord et avant tout réalisées pour le web) fait enfin évoluer la création sonore jeunesse, après des décennies de délaissement radiophonique des jeunes oreilles. Ces dernières, qui ont toujours pu compter sur l’édition pour leur proposer livres-CD et CD inventifs, commencent dorénavant à trouver également en ligne de quoi leur ouvrir de nouvelles perspectives auditives.
Il existe dans la création radiophonique et sonore une branche aussi minoritaire, aussi résolue, aussi généreuse que les personnes qu’elle donne à entendre : les œuvres d’histoire orale. Retour sur la dernière en date en langue française : Rock against police. Des lascars s’organisent.
« Il faut transformer la radio d’appareil de distribution en appareil de communication. Non seulement émettre, mais recevoir, non seulement faire écouter l’auditeur, mais le faire parler, ne pas l’isoler, mais le mettre en relation avec les autres. » C’est avec cette citation de Bertolt Brecht dans sa Théorie de la radio que Brasero s’est annoncée sur la radio associative toulousaine Canal Sud un jour de 2016. « Brasero », comme un cut-up de « brassage radio » et une évocation du « brasier qui consumera le vieux monde » – une expérimentation qui brûle, craque et grésille chaque lundi de 19h à 20h sur les ondes du 92.2 MHz.
Les contenus et les passerelles évoluent rapidement sur la planète podcast, tant et si bien que trois petits mois après vous avoir proposé une première cartographie de ces espaces de création et de diffusion, issus du bouillonnement actuel ou plus anciens, Syntone y apporte une importante mise à jour. Plusieurs outils de veille ou de sélection ont en effet émergé depuis.